En attendant 2023 et la poursuite de la lente dégringolade de la prise en charge des soins sur notre territoire comme sur le reste du pays, il est temps de regarder dans la lorgnette de l’association du Pôle Santé des Bastides ce que cette année aura produit dans l’intérêt de son objet.
Il est temps, parce que le PSB s’exprime trop peu sur son activité de fond, en dehors de ses AG et de ses rares conférences.
Les années Covid sont bien sur passées par là pour casser des élans et le tic-tac d’une bombe à retardement couvre de plus en plus le bruit de ses quelques actions encore utiles.
En attendant 2023, je vous propose réflexions et humeurs autour de quelques évènements de l’année.
Part.2 – Assemblée générale 2022 : l’atelier-débat
La rencontre du 16 mai dernier entre élus et médecins aura permis de mettre sous les feux de la rampe les 3 principaux facteurs de risque de voir se produire la catastrophe sanitaire annoncée sur le territoire de la Communauté des Communes Landes Armagnac (CCLA) :
- le nombre des médecins en activité en 2021
- le nombre d’actes médicaux qu’ils produisent dans l’année
- le nombre d’heures qu’ils y consacrent par semaine
Pour faire simple, ces chiffres sont respectivement 9 (médecins), 57563 (actes) et 550 (heures). Comme toujours en médecine, les facteurs de risques sont aussi des variables d’amélioration d’une maladie : agir dessus, c’est agir sur la maladie.
L’assemblée générale (AG) annuelle du Pôle Santé des Bastides s’est réunie le 11 juin dernier et a donc choisi d’élargir la réflexion autour de ces variables à tous ses adhérents dans le cadre d’un atelier de 1 heure 30 intégré à son ordre du jour.
En 2019, j’avais écrit un article dans lequel je signalais que le départ annoncé ou prévisible à court terme de beaucoup de confrères médecins du territoire pouvait être vécu comme une bombe à retardement, autrement dit comme un objet anxiogène et alarmiste, qui empêche de penser et de raisonner devant tant d’incertitudes; et je disais que le remède, ou en tout cas le bon comportement à çà, était le tout bête compte à rebours, autrement dit la simple connaissance du lieu et du moment de l’explosion pour pouvoir planifier des actions plutôt que subir, paniquer et produire dans l’urgence des initiatives souvent pas efficaces. L’article se terminait d’ailleurs par l’image animée d’un vrai compte à rebours qui tourne toujours au moment où je commence cet article et qui pointe exactement 1100 jours.
Dans le rapport moral de l’AG du 11 juin, j’ai rappelé cette histoire de bombe et, compte à rebours à la main [oui, ben, vous savez bien, ce rectangle de cristaux liquides gris posé au dessus du pastel d’un blue-foot bobby des Galapagos que j’aperçois tous les jours au dessus de votre épaule gauche, là, un peu en haut à droite, quand vous venez me consulter], je me suis permis de préciser qu’il s’agissait du décompte des jours avant l’arrêt de nos activités respectives, au Dr SILLET (dévissage de plaque et poursuite d’une activité libérale free-lance) et moi-même (retraite définitive). Le compteur arrivera à son terme le 31 12 2025 à minuit.
Au moment de cet AG, nous savions aussi que 2 autres médecins étaient susceptibles d’arrêter dans l’année 2023 leur activité sur la CCLA (au moment d’écrire, c’est probablement 3 ou 4 plutôt que 2, en plus du Dr SILLET et moi).
Au 31 décembre 2025, nous aurons donc la certitude que 2 des 3 médecins n’exerceront plus sur la MSP ST JUSTIN SARBAZAN et nous aurons l’incertitude que 6 des 9 médecins auront quitté le territoire de la CCLA.
Le PSB, en accord parfait avec son objet, a donc décidé que les premières personnes concernées par l’explosion et les effets collatéraux de cette bombe, à savoir les usagers de tous ces soins en voie de désertification, devaient elles aussi s’impliquer activement.
L’atelier-débat proposé de l’AG 2022 avait donc pour objectif de partir des faits et des certitudes locales pour tenter de lister toutes les idées ou réflexions qui pourraient aider à faire face à cette crise sanitaire prochaine.
Le génie organisationnel de Catherine SILLET a permis la mise en musique de ce brainstorming collectif. Le penseur de Rodin n’avait qu’à bien se tenir…
Organisation de l’atelier-débat
Il se résume dans le tableau ci-dessous :
Nous avons simplifié le tableur d’activité des 9 médecins de la CCLA autour duquel l’article précédent s’articulait. Il s’agit ici d’un tableau de 2 colonnes et 3 rangées : les colonnes pour les lieux, les rangées pour les 3 variables relevées.
Dans le détail :
- colonne de gauche : Maison de Santé Pluriprofessionnelle Multi Site de ST JUSTIN SARBAZAN : 3 médecins, 16459 actes par an (moyenne de 5486 chacun), 57 heures de travail par semaine chacun
- colonne de droite : Communauté des Communes Landes Armagnac : 9 médecins, 57563 actes par an (moyenne de 6395 chacun), 61 heures de travail par semaine chacun
Munis de post-it de couleurs différentes, 4 groupes de 4 à 5 personnes se sont répartis la tache d’y écrire des idées d’actions pour chacune des variables :
comment agir sur le nombre de médecins ?
comment agir sur le nombre d’actes ?
comment agir sur le temps de travail ?
Il y avait un groupe constitué d’usagers, deux groupes de professionnels de soins et un groupe d’élus invités qui ne sont pas restés jusqu’à la fin de l’atelier mais ont restitué une partie de leurs réflexions.
Résultats
Nous vous les livrons ici sur cette pancarte à agrandir en cliquant dessus :
Bien qu’il ait été difficile parfois de faire la différence entre les enjeux de temps et d’actions, ou de temps et de nombre, ou d’actions et de nombre, et malgré le peu de temps que nous nous étions donné pour cet atelier, le nombre de post-it parle de lui même sur la qualité de cette réflexion collective.
Voici les données brutes de ce catalogue d’idées.
Brutes pour dire, sans jugement aucun, qu’elles demanderont secondairement une analyse détaillée.
Pelle-mêle, je vous propose une relecture personnelle de toutes ces gommettes :
- idée récurrente et presque consensuelle dès lors qu’on n’est pas soi-même soignants, c’est d’abord l’obligation d’installation qui prime, en mode hard (ne pas laisser le choix d’installation, dénoncer la vénalité de certains choix ou lieux d’activités) ou en mode soft (engagement, contrat, donnant-donnant).
- rémunérer les étudiants, façon école normale ou santé navale, pour les accompagner et les inciter à rester au pays est une manière consciencieuse de prendre en considération l’investissement réel que l’on pourrait faire dans la valeur soignante de nos futurs professionnels. De même, les impliquer dans la vie du territoire pour leur donner envie d’aimer l’endroit où ils ont été ou se sont parachutés.
- salarier les médecins est le pendant de tous ceux qui, non soignants, arrivent à comprendre que la valeur du travail n’a pas les mêmes implications selon qu’on emploie ou selon qu’on entreprend (cf article précédent) : l’histoire dira si nos élus et administrateurs en seront capables.
- financer la formation des infirmier-e-s pour élargir leur champs de compétence à une activité qui se substituera à celle des médecins surmenés ou disparus, voila l’évocation notable d’élus qui s’approprient eux aussi l’idée forte que la carence médicale peut trouver une partie de sa solution dans la délégation des taches médicales plutôt que dans la recherche d’un médecin mercenaire, évocation en particulier du financement intégral (perte d’indemnité et coût de formation) de la formation des futures Infirmier-e-s de Pratiques Avancées, les IPA.
- autre idée remarquable issue de l’incubation très laïque des usagers, l’incitation au travail en mode associatif, façon Pôle Santé des Bastides bien sur, dans son melting-pot avant gardiste de professionnels de soins ET d’usagers pour faire germer des idées qui concernent et impliquent tout le monde et pas seulement les soignants, comme c’est souvent le cas dans les constructions plus juridiques de beaucoup de maisons de santé à travers des sociétés de moyens ou des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires seules (comme notre SISA) qui, en autogestion pure, sont toujours à risque d’un opportunisme de recherche d’intérêts plus personnels (de soignants) que généraux (de publics et de population).
- recruter des paramédicaux qui tendent à déserter les sites où les médecins ont disparu (kiné, sage-femmes, orthophonistes, psychologues) alors qu’il faudrait les fixer et les aider à réaliser des soins qui devraient être en accès direct, c’est-à-dire sans l’obligation ou la nécessité d’une prescription médicale.
- agir sur l’usage des soins par les usagers, pour ne pas dire agir sur l’usure de soins par des consommateurs, à travers l’éducation des patients, individuellement ou en groupes, y compris en groupes de réflexion autour des thèmes de prévention en santé (groupes de travail, conférences, ETP), à travers la ré-autonomisation des gens aux soins de bases ( comment gérer un symptôme sans forcement le médicaliser ),
- agir aussi à travers la formation des soignants eux même (entre eux ou entre professions différentes) et à travers la formation des régulateurs d’appels et de demandes de soins en tout genre (secrétariat médical, assistance médicale) pour que, au delà des soins urgents et non urgents, les soignants autant que les soignés soient capables d’une introspection des soins utiles et des soins inutiles, des soins nécessaires et des soins confortables.
- gagner du temps sur le temps non clinique, comme on dirait à l’hôpital, autrement dit en finir avec les paperasses qui consomment le temps du soin jusqu’à l’indigestion (certificats de présence, d’absence, d’aptitude, d’inaptitude, de maladie, de convalescence, de contagiosité, de non contagiosité, de nounou, de lycée, de crèches, de centres aérés, arrêt de travail, bon de transports, etc…) en déléguant, en boycottant ou en supprimant ces taches administratives avec l’aide et la résistance des patients souvent piégés par des administrations tyranniques.
- gagner aussi du temps sur le temps clinique en acceptant de faire faire par d’autres ce qu’on n’a plus le temps de faire, par délégation là aussi de taches protocolisées, qui, parce qu’elles ont été validées en amont par un groupe de professionnels, permettent à l’un d’eux d’agir en accord avec tous les autres.
- gagner du temps de soins dans une communication améliorée entre tous les soignants (et les soignés) par une fluidité des outils de communication (communication sophistiquée des intranets en tout genre sur les téléphones, les tablettes ou les ordinateurs de bureau interconnectés) mais aussi un renforcement plus archaïque mais tout aussi rentable des contacts réguliers présentiels interprofessionnels
Voila ce que 21 gommettes ont été capables d’exprimer dans ce petit atelier sans prétention : du bon sens, du pragmatisme et du réalisme qui, dans un enthousiasme chaque fois renouvelé par les retrouvailles annuelles d’une assemblée générale, donnent envie de reproduire l’expérience à plus grande échelle.
La conclusion de cette AG 2022 a donc été de choisir ce thème pour la prochaine conférence des adhérents que le PSB tente d’organiser tous les 2 à 3 ans.
A suivre donc avec attention dans l’agenda 2023 !
N’ayant pas breveté cette pure illustration de démocratie participative du 11 juin, le Pôle Santé des Bastides n’a pas été surpris de découvrir que d’autres, bien plus responsables que lui, s’étaient emparés de l’idée. En l’élargissant, ambition et prétention oblige, à tout un département, une région, que dis-je, à tout un pays, nos gouvernants n’ont même pas hésité à usurper l’acronyme historique fondateur de notre modèle sociétal français d’après-guerre, le CNR, pour baptiser du nom de Conseil National de la Refondation les « ateliers » dans lesquels l’expression des jours heureux seraient peut-être autant le dogme qu’en 1944.
Comme au PSB, nous sommes pour le partage des idées et toujours curieux de voir ce que cela produit ailleurs, nous nous sommes inscrits, la représentante de nos usagers de soins et moi-même, à la première Concertation CNR Santé Landes qui s’est tenu le 28 octobre dernier à Mont de Marsan.
Part.3 – CNR Santé Landes : les soignants heureux
à suivre…
Thierry GOURGUES le 30 décembre 2022