En attendant 2023 (part 3)

En attendant 2023 et la poursuite de la lente dégringolade de la prise en charge des soins sur notre territoire comme sur le reste du pays, il est temps de regarder dans la lorgnette de l’association du Pôle Santé des Bastides ce que cette année aura produit dans l’intérêt de son objet.

Il est temps, parce que le PSB s’exprime trop peu sur son activité de fond, en dehors de ses AG et de ses rares conférences.

Les années Covid sont bien sur passées par là pour casser des élans et le tic-tac d’une bombe à retardement couvre de plus en plus le bruit de ses quelques actions encore  utiles.

En attendant 2023, je vous propose réflexions et humeurs autour de quelques évènements de l’année.

Part.3 – CNR Santé Landes : les soignants heureux

Il fallait quand même oser, non ? :
– reprendre le sigle d’un projet historique écrit dans l’intelligence et le consensus de tous les représentants d’une société résistante confisquée par une guerre effroyable, et écrit dans la certitude que sa mise en pratique un an plus tard dans un pays cassé, ruiné, décapité, allait apporter un monde meilleur …
– et se l’approprier pour en faire une assemblée pseudo démocratique dans laquelle le peuple serait invité à apporter des solutions à des problèmes que son gouvernement ne sait pas (ou dit ne pas savoir) comment les régler lui-même, pour laquelle il a par avance fixé les règles de fonctionnement (fragmentation de la parole, contrôle des temps d’expression, contrôle des lieux, restitution partielle) et les thèmes de discussion à aborder pour orienter, contenir et définir des résultats attendus.

Ben, si ! Nos gouverneurs l’ont fait, en créant un CNR dans lequel le mot Résistance devenait Rénovation, histoire de trompéter que, autres temps autres moeurs, le message ne serait pas le même. Effectivement, rénover, c’est faire du neuf avec du vieux, c’est ripoliner, recouvrir, cacher, blanchir et mettre un plancher flottant bourré de formaldéhyde polluant et nuisible à la santé par dessus de vielles et belles planches vermoulues qu’on avait oublié de cirer depuis longtemps ; c’est même, tiens, commencer par coller des gommettes, comme on sait bien le faire nous autres du PSB, dans nos AG et dans nos ateliers (cf l’image ci dessous extraite du site officiel du conseil national de la rénovation, çà ne s’invente pas ! ):

Il fallait quand même osé, après avoir produit ses derniers années d’autres concertations dont toutes, en tout cas en ce qui concernent celles parlant de Santé, ont souvent servi à s’assoir dessus pour décider au nom du peuple et en dépit de ses choix (cf les concertations dépistage organisé du cancer du sein, concertation écologie, concertation post gilets jaunes, etc).

En attendant que le PSB produise lui même, comme annoncé lors de la dernière AG, une concertation locale façon Conférence des adhérents pour tenter d’inventer autre chose et faire face à la désertification des soignants du territoire, il était tentant d’aller voir ce que la première rencontre régionale du CNR Santé organisée à Mont-de-Marsan le 28 octobre dernier pouvait produire. Cela pourrait nous donner des idées sur ce que nous pourrions nous même produire plus tard.

J’y suis donc allé ce vendredi après-midi là avec Mme Yolande SAUTEDE, représentante des usagers de soins au sein du Conseil d’Administration du PSB.

Nous y avons vu tout ce qui ne nous intéresse pas mais quasiment rien de ce que nous aurions dû nous attendre à trouver.

Il n’y a pour l’instant a priori aucun retour écrit, audio ou video de cet après midi d’échanges de 2h30 environ. Tout ce que je retranscris ici est donc fondamentalement subjectif. Seule la presse locale écrite a fait un compte rendu succinct de la rencontre par ici (accès sur abonnement uniquement).

Ce n’était pas vraiment un débat : au fond et au dessus, une scène avec son pupitre, son video-projecteur et ses maitres de cérémonie pour diriger ce débat et indiquer quoi penser, et en face et en dessous, une petite soixantaine de personnes, essentiellement des professionnels de santé et des élus, attentives et naturellement intimidées dans ses prises de paroles par la conformation de la salle. Nous étions loin de nos tables rondes du PSB..

Une préfète élégante a introduit la rencontre et s’est immédiatement excusée parce que le délai de prévenance était réduit. Une semaine pour les professionnels de santé et pour les autres trois jours, via une annonce dans « Sud Ouest » (extrait de l’article S-0).

En effet, demander à des professionnels de santé surchargés de travail de s’organiser en moins de 8 jours pour assister sur leurs propres horaires de travail à une rencontre organisée par nos gouvernants, est l’aveu de l’ignorance ou du désintérêt pour leur profession. Et prévenir trois jours avant des élus eux même contraints dans leurs agendas peut s’apparenter à du mépris de classe catégorie j’administre. A noter que la CCLA, impliquée et soucieuse de la situation sur son territoire, était très représentée dans cette salle (les maires d’Arue, Roquefort et Sarbazan ainsi que le directeur de la CCLA).

La préfète élégante qui a d’ailleurs très peu parlé, noyée parmi d’autres personnalités plus grandes qu’elle mais plus courbées, plus masculines et plus déférentes, s’est excusée 2 heures plus tard de devoir nous abandonner tous à une discussion aussi riche pour d’autres devoirs républicains.

Quand un Etat montre autant d’intérêt aux actions qu’il met en place, on a le droit d’hésiter quant à l’interprétation de ce comportement, entre l’arrogance et le mépris…

Autre personnalité respectable à citer, un directeur général d’ARS Nouvelle-Aquitaine, lui même très élégant et très professionnel dans la tenue de son micro, introduisait les objectifs du débat à respecter : trouver ensemble des solutions aux grands défis de notre système de santé, à savoir donner un accès à un médecin traitant, garantir la permanence des soins, créer une nouvelle alliance pour une politique de prévention dans le quotidien des Français et mobiliser les leviers locaux d’attractivité du système de santé.

CNR Conseil National Refondation Santé Palais Beaumont Lancement des rencontres citoyennes en Nvlle Aquitaine

Moi qui croyait que cette concertation était là pour chercher des idées ou des financements pour investir davantage dans le médical, le paramédical ou le médico social, pour embaucher plus des gens, ouvrir plus de lits, créer plus d’ Ehpad, plus de crèches, plus de transports, plus de solidarités locales, etc, bref, tout ce qui pourrait améliorer la prise en charge de nos populations abandonnées de nos territoires ? Non, non ! La concertation était verrouillée d’avance.
Garantir l’accès et la permanence aux soins pour tous, c’est tacitement imposer une obligation de travail aux soignants survivants d’un territoire déserté mais l’idée, pour cette première rencontre, n’a même pas été évoquée, ouf, comme ce sera le cas sur d’autres rencontres.
La politique de prévention dans une nouvelle alliance n’a pas été abordée non plus et reste à ce jour pour moi un mystère.
La mobilisation des leviers locaux, dans la bouche du joli directeur général à l’élégant costume cravate, s’est par contre condensée dans sa conclusion de la rencontre dans deux réflexions surprenantes :
– « Messieurs les élus, il est de la responsabilité de l’Etat et non de la votre de porter la charge de tous les investissements nécessaires à améliorer la condition de nos populations » que je sous-titrerais volontiers et peut-être à tort par un « Ne prenez pas d’initiatives locales, et n’interférez pas avec nos plans » (!)
– « Trouvez-leur de jolis villas avec tennis et piscine, croyez-moi, il n’y a rien de plus attractif », prenant les soignants à débaucher d’une région ou d’un pays à l’autre pour des êtres aussi immatures que lui.
Notez que ces guillemets sont, en l’absence du verbatim de cette rencontre, une retranscription approximative de ce que j’ai noté et que j’assume mais notez que l’émanation de ces propos, ressentis dans mes oreilles susceptibles comme des propos irresponsables, a achevé de me mettre en colère à la fin de la rencontre.

Vint ensuite, en charge d’organiser les discussions, un directeur de l’ARS locale, modeste, attentionné, sans doute obsédé par l’idée louable de désamorcer le désespoir territorial qu’il voit tous les jours un peu plus poindre sur son vaste territoire des Landes, mais perché dans l’idée qu’il faut croire en des jours prochains plus radieux, plus …heureux.
C’est à cet instant que j’ai compris à quel point les mots et les idées créent des influences et des injonctions de pensées : le glissement du CNR (résistance) et de ces jours heureux vers cette nouvelle version de CNR (rénovation) a finalement crée dans cette première manifestation comme dans les suivantes l’exigence d’un bonheur possible malgré tout pour des soignants… heureux
Ainsi, face à une assemblée de maires désespérés de savoir qu’ils n’ont bientôt plus de médecins, de kiné, d’infirmières ou de pharmaciens sur leur territoire, face à des professionnels en pré-rupture de leur activité hospitalière ou libérale pour cause de surmenage ou de manque dramatique de moyens, et même face à de rares usagers de soins inquiets de savoir qu’ils n’auront bientôt plus de médecin traitant ou de rendez-vous de ceci ou de cela dans des délais raisonnables, ainsi, face à cette assemblée, il y a eu la stratégie de la méthode Coué : soyez heureux et tout sera possible.

Extrait de l’article du S-0 :

Deux jeunes médecins, mascottes de la nouvelle génération des professionnels engagés, ont ainsi exprimé leur bonheur d’exercer la médecine dans les Landes : Aurélien Beylot-Audigeos, 33 ans, installé depuis trois ans dans un cabinet médical à Saint-Pierre-du-Mont et Marco Romero, 40 ans, médecin à la maison pluridisciplinaire de santé de Samadet. Pour tous les deux, le secret est dans le collectif. « L’exercice en groupe est à favoriser, tout comme l’assistance médicale pour les tâches administratives. » Chez lui comme chez l’autre, les gardes du week-end sont organisées, des infirmières spécialisées dans les maladies chroniques accompagnent les patients sur le long terme… Les deux disent cependant ne pas soigner autant de patients que les médecins d’antan (960 en moyenne contre parfois plusieurs milliers) car la qualité de vie est indispensable, selon eux, pour maintenir des médecins dans le territoire.

Bref ! Il suffit d’intégrer une MSP bien subventionnée (donc pas partout), ne payer aucun impôt pendant les premières années d’installations et décider de ne pas s’occuper de plus de 960 patients ( la moyenne est plus près du double sur les territoires désertifiés ) pour être des médecins heureux, faisant le tralalalère à tous ceux de la salle et d’ailleurs qui, installées depuis des dizaines d’année, donc sans possibilité d’aides fiscales, s’occupent en moyenne de 1500 à 2000 de patients.

Des élus, pas dupes de l’ambiance bisounours de ces témoignages, les ont questionnés sur l’emploi de leur épouse (elles sont médecins toutes les deux aussi, ça aide…)(nouvel extrait S-O).

De même vint aussi l’injonction du bien vivre dans un Ehpad à travers la présentation très pinky et punchy du mode de fonctionnement très démocratisé d’un Ehpad par un directoire bienveillant composé de sa directrice, de sa cadre infirmière et d’une des aide-soignante de la structure : on nous expliquait alors que ce ne sont pas (que) les moyens qui comptent mais bien le bonheur d’y travailler. La solution au déficit de prise en charge de nos personnes très âgées sur le territoire et la solution à l’exploitation récurrente et scandaleuse des rares personnes qui continuent à accepter de travailler à leur service dans des conditions de travail difficiles, ce serait finalement bien simple : chanter, danser et répéter que, avec un peu de volonté et d’organisation, tout ira mieux. Quand je pense aux manques en tout genre (gants, compresses, couches et aliments, personnels, ordinateurs, téléphones, peintures, parquets, décors, etc) dans tous les Ehpad que je fréquente, cette joie de travailler, maladroite et anachronique avec le reste du territoire m’est apparue tout d’un coups comme indécente. Là, le journaliste du S-O n’en a pas parlé.

De même, il fallait bien qu’on ait aussi un peu de connexion et de télé-médecine heureuses pour croire que, même sans personnels supplémentaires, on pourrait travailler et s’occuper des gens du territoire: ce fut le temps de l’illustration heureuse d’une expérimentation high-tech d’ordinateurs embarqués au fond de nos brousses pendant deux heures pour qu’un médecin indisponible et lointain puisse rassurer plus que soigner la rare et dernière personne âgée encore capable de vivre toute seule au fond de sa ferme de haute-lande. Quid de l’embauche et de la paye décente d’auxiliaires de vie pour des bataillons entiers ? Quid des trous numériques toujours présents sur trop d’endroits qui empêchent de tout de façon de faire tourner cette méta-médecine des grandes cités ?


Bon ! Comme vous le voyez, nous avons essayé, Yolande SAUTEDE et moi, d’être très attentif à tout ce qui aura été dit mais, d’un commun accord, nous avons eu l’impression d’avoir perdu du temps.

Ah si ! Je suis quand même venu, moi aussi, proposer très concrètement une ou deux solutions : debout, le micro à la main, devant un représentant du Département Universitaire de Médecine Générale (DMG) de la faculté de Bordeaux, j’ai proposé de revenir, au moins provisoirement, à une durée d’études de médecine raisonnable de 8 ans, comme j’ai été formé il y a 30 ans, durée qui est actuellement de 9 ans et va très prochainement passée de 9 à 10 ans (!); et, bien qu’enseignant maitre de stage universitaire moi-même pour nos petits docteurs juniors, j’ai proposé de supprimer un exercice chronophage, inutile et inefficace dans l’acquisition de la connaissance des soins primaires, qu’on nomme la Thèse de Médecine, qui valide le doctorat de nos internes mais freine souvent d’une ou deux année encore leur installation tant qu’elle n’est pas soutenue.
Le DMG n’a pas retenu mes propositions. On a préféré parler d’internats ruraux et continuer à considérer que nos étudiants pourtant adultes de 26, 27 ou 28 ans, souvent en couple, parfois parents, ne rêvaient que d’hôtellerie et de colonies de vacances pour accepter de vivre et travailler dans nos pays sauvages. Et du coup, le journaliste n’en a pas parlé non plus et peut-être pas non plus le comité chargé de synthétiser ces rencontres à l’échelle nationale.

Soyons optimiste et retenons le Rendez-vous en janvier 2023 pour le bilan des travaux du CNR « Santé », me souffle dans l’oreille un des médecins heureux du CNR.

Finalement, le contenu et la forme de ce CNR local montrent que ce n’est peut-être pas çà, la bonne méthode pour aborder le thème de la recherche des solutions à la désertification médicale annoncée que l’AG du Pôle Santé des Bastides a choisi pour sa prochaine conférence-débat en 2023.

Au PSB donc d’inventer autre chose.

Bonne fin d’année à tous.



Thierry GOURGUES, le 31 décembre 2022