Dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux

La phrase n’est pas de moi : elle est d’Albert CAMU, extraite de « La peste », le roman le plus vendu de ces mois de confinement.
Pour titrer cet article, j’aurais pu tout aussi bien vous sortir une phrase d’Abraham LINCOLN comme Donner les faits au peuple et le laisser décider.
Ou encore l’intituler simplement Covid-19 : premier bilan de l’épidémie mais, là, j’aurais repris le vrai titre d’un article de la Revue Politique et Parlementaire (article 1) dont j’aimerais vous parler ici. Pour être honnête, autant vous dire que j’ai récupéré à mon compte la référence camusienne des auteurs qui l’ont utilisé dans un article précédent (article 2) tout aussi intéressant.

Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, les auteurs, ne sont pas médecins mais respectivement professeur de science politique sur la fac de Bourgogne Franche-Comté et chercheur associé en science politique sur celle de Grenoble Alpes. Autant dire qu’ils ne vendent pas de poissons et que, s’ils se mettaient à en parler, en bien ou en mal, ils seraient plus crédibles qu’un bonimenteur des quais de seine ou un vendeur à la criée d’une vieille cité focéenne. Ils ne sont pas dans l’émotion d’un médecin qui voit mourir ses patients les uns après les autres et ils se gardent de polémiquer sur des produits de santé auxquels ils ne comprennent rien. Leur compétence à eux, ce sont les chiffres et les faits. C’est pourquoi ils ont choisi d’analyser crument pour la Revue Politique et Parlementaire les données communiquées par le ministère des Solidarités et de la Santé sur l’évolution de la pandémie de Covid-19 .

La Revue Politique et Parlementaire est un média née à la fin du 19ème siècle pour faire le relais pédagogique des débats et des réflexions parlementaires sur les enjeux sociétaux. Mémoire des idées et de l’histoire de France et du Monde, cette revue ne prend partie sur rien. Loin des bruits médiatiques, elle observe et elle réfléchit librement.

Cet article de 26 pages, facile à lire, fait d’abord le bilan statistique de cette épidémie puis en tire des informations gênantes quant aux différences de mortalités à l’échelle nationale et même internationale. Voici les six principales remarques que les auteurs tirent de ce bilan :

  • L’ampleur de l’épidémie Covid a été faible, comparativement aux 13 autres épisodes épidémiques qui ont engendré depuis 1945 un surcroît de mortalité d’au moins 10 000 morts par rapport à l’année antérieurs et dont 10 épisodes ont été supérieurs à cette épidémie Covid-19 de 2020. Pourtant, l’état d’urgence n’a été décrété que pour 2020. (Clic !)
  • Le nombre d’hospitalisation et de cas graves a explosé, comparativement à 2015, année grippale pourtant tout aussi meurtrière, peut-être à cause de la nature particulière de la maladie mais peut-être aussi à cause du fait que la médecine de ville a été placée sur la touche alors qu’elle assurait jusqu’à présent le plus gros des prises en charge dans les épidémies précédentes.
  • L’épidémie était présente sur tout le territoire dès le mois de février et les deux tiers des pics épidémiques sont intervenus en une semaine (12-19 avril). La comparaison des dates des pics d’hospitalisation (date du plus fort afflux de malades) par départements, en particulier sur les zones limitrophes italiennes et espagnoles a montré que l’épidémie s’est répandue ensuite de proche en proche malgré les mesures strictes de confinement. (Clic!)
  • La plupart des départements où l’épidémie est apparue ont eu des taux d’hospitalisation inférieurs à la moyenne alors que la diffusion de l’épidémie était déjà largement faite avant le confinement, suggérant que le confinement général de la population et le fort ralentissement de l’activité économique n’ont guère influé sur l’expansion de l’épidémie et que le virus s’est propagé selon une dynamique propre, à savoir les gros axes de communication du pays et les zones d’échanges les plus intenses. (Clic !)
  • Le risque de mourir des patients hospitalisés pour Covid-19 à cause de leurs difficultés respiratoires graves n’a pas été le même dans tous les hôpitaux : 2,5 fois de plus à Paris qu’à Toulouse ou qu’en outre-mer, 2 fois plus dans les hôpitaux mosellans ou de Meurthe-et-Moselle que dans ceux du Var ou des Bouches-du-Rhône, 1,6 fois plus dans la région parisienne que dans les Bouches-du-Rhône, et même une mortalité à Paris significativement plus élevée que dans le reste de l’Ile-de-France et dans la plupart des départements de province, alors que les hôpitaux parisiens sont richement dotés et que les plus grands spécialistes y travaillent. L’idée que les hopitaux qui ont eu plus de morts, des cas plus graves ou une précocité du pic d’épidémie ne permet pas d’expliquer des écarts de mortalité aussi importants (de 1 à 4 fois plus). Ne pas pouvoir affirmer que les malades atteints de covid-19 ont tous été traités de la même manière dans les principaux hôpitaux français met finalement mal à l’aise.
  • Le taux de mortalité par Covid-19 en France a été 4 à 5 fois plus élevée qu’au Portugal ou en Allemagne ; deux fois et demie plus élevée qu’en Suisse ou au Canada; pas mieux que l’Espagne ou l’Italie et beaucoup moins bien que les USA. Les contraintes imposées à la population française, pourtant bien plus fortes que dans les autres grands pays n’ont manifestement pas eu l’effet attendu sur l’épidémie et sur le bilan final. A se demander même si elles n’ont pas plutôt été contre-productives. (Clic !)

A l’heure du bilan définitif, il faudra comprendre pourquoi une partie du système hospitalier français a semblé dépassé – spécialement au cœur même de ce système dans les établissements les plus prestigieux – alors qu’une autre partie a fait face à l’épidémie avec plus de succès.

Dans l’attente de plus de transparence sur la réalité des chiffres, en particulier sur tous les effets collatéraux pour l’instant non évalués (surmortalité d’autres pathologies par retard ou arrêt des soins, morbidité/mortalité des soignants, etc), toutes les données empiriques disponibles suggèrent, concluent les auteurs, que le confinement drastique, que la mise sur la touche de la médecine de ville, que l’arrêt de l’économie comme de tout le système scolaire, bref que tous ces choix politiques sévères n’a pas eu d’effet sur la dynamique de l’épidémie ni sur la mortalité finale, mortalité très lourde par rapport à la plupart des autres grands pays comparables. En adoptant une attitude exactement opposée, en faisant confiance au corps médical et aux citoyens, d’autres pays ont obtenu de meilleurs résultats face à l’épidémie et n’ont pas plongé leur économie et leurs assurances sociales dans une crise sans précédent.

Ce point de vue à l’opposé du discours consensuel répété tout au long de ce confinement prend toute sa place à l’heure où notre chef d’état va nous ré-expliquer ce soir la nécessité d’avoir mis entre parenthèse nos libertés publiques et d’avoir plongé notre économie et nos assurances sociales dans une crise sans précédent. L’éclairage neutre de ces deux scientifiques montre aussi que beaucoup des données statistiques qu’ils nous exposent ici n’ont pour l’instant pas été exploitées autrement que pour tenter d’affiner l’action publique face à cette épidémie présentée comme exceptionnelle.
L’heure du bilan définitif et le questionnement de l’action gouvernementale ne pourra pas être esquivé, proposent-ils…

…à notre esprit critique à tous.

Thierry GOURGUES
Le 14 06 2020

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